La musique du biathlon
Au son des cymbales
Par J.-F. BLANQUET
Pendant que la brume virevoltante batifole avec les blanches cimes verticales de la chaîne des Aravis, pour magnifier leur apparition en pleine lumière, la
gazouillante rivière Borne file sans s’attarder vers son destin d’affluent, affolée par ce tintamarre insolite qui résonne le long de ses rives habituellement
paisibles. Des hordes de nomades plus ou moins civilisés colonisent les berges en piétinant sans vergogne une fine pellicule de neige déjà fiévreuse quand de
drôles de zèbres aux robes bigarrées s’accoquinent avec d’accueillantes hermines géantes sorties de nulle part. La transhumance se poursuit vers les alpages
discrètement enneigés dans un charivari orchestré où la vibration envoûtante des clarines le dispute au déchirant barrissement d’éléphant des vuvuzelas. Guidé
par les fidèles bergers bornandin, ce truculent troupeau, habité par une passion démesurée, franchit les différents barrages en montrant patte blanche pour
gagner le point de parcage délimité par de frêles filets maillants bleu disposés pour attirer de concert les Sol et les Ré de choristes enthousiastes. Au loin,
surplombant la piste tracée, un fanal exubérant fait des appels de phare à un public ébloui, l’éclairant sur le déroulement de la compétition autant par une
cascade d’images hypnotisantes que par une logorrhée cadencée assourdissante. Petit ou grand écran, chaque auditeur louvoie entre les sources
d’informations avant que ne décolle du fond de la vallée la clameur du départ relayée en stéréo par notre tour de contrôle consacrée. Les crécelles se
déchaînent, les sifflets se répondent, les cors grincent, la rumeur enfle, suivant la progression des skieurs, aériens. Le grondement s’élève. Le crissement
s’amplifie. Le public vocalise. Alors que les bâtons donnent le rythme, la complainte rappeuse de la semelle du ski creuse son sillon dans une neige résignée
évoquant l’atterrissage du saphir sur un vinyle rayé hors d’âge. La mélodie grinçante entre en résonnance avec les applaudissements frénétiques qui battent la
mesure lorsque les athlètes à la grosse caisse et aux tenues chatoyantes se rapprochent, le long des filets de sécurité, puisant l’énergie du bourdonnement
concomitant comme une pompe à chaleur renommée, marraine de l’épreuve, se nourrit de l’air ambiant. Sur la pente abrupte exigeante, les souffles ronflants
des championnes se noient dans les hurlements carillonnants d’une foule électrisée, avant de plonger dans une descente réconfortante escortés par les voix
rauques de jeunes que l’on pourrait croire en période de mue. Quelques hectomètres plus bas, l’entrée en fanfare sur le pas de tir joue comme un amplificateur
d’émotions s’accompagnant d’une redoutable poussée d’adrénaline, relayée par les grandes lucarnes disséminées sur tout le site sportif. Couché ou debout, le
tir, chirurgical, s’opère au son cuivré des cinq balles qui martèlent la cible. Un petit clic pour éviter de prendre une grosse claque dans la bourrasque, et c’est
reparti pour un tour.